Fred Spider, des mods de Lyon à "Chakalaka Jazz"
#3 - DJ incontournable des 1990's à Lyon, issu des scènes mod et acid jazz, Spider s'est exilé en Afrique du Sud d'où il nous envoie la carte postale "Chakalaka Jazz"... avant de prendre sa retraite.
Les cucarachas flambaient sur le zinc de La Marquise et Spider, à l’autre bout de la cale, enchaînait les vinyles. C’était les années 1990 : optimistes et insatiables. La péniche tanguait, l’on ne savait plus si c’était au rythme du Rhône ou des pas des danseurs foulant le dancefloor perpétuellement bondé. Nous revenions à peine à la réalité lorsque les premiers rayons du soleil transperçaient les hublots, emportés que nous étions par l’ambiance pétrie de funk, d’afrobeat, de rap, de drum&bass, de northern soul et de house music. À l’anglaise ! Spider s’était nourri de cette culture depuis toujours, celle venue des mods puis de la scène acid jazz qui avait réveillé l’élégance comme l’exigence. Et ce DJ savait la transmettre comme personne dans l’hexagone, en grand passeur qu’il est toujours aujourd’hui, depuis Cape Town où l’ancien organiste des Hey! Bookmakers s’est installé.
En Afrique du Sud, Fred Spider poursuit sa quête : défricher toutes les musiques, trouver le moyen pour les partager. Digger, collectionner, mais surtout faire découvrir aux autres ces pépites insoupçonnées qu’il déniche, comme avec Chakalaka Jazz, splendide et érudite compilation de jazz sud-africain qu’il a fait paraître à l’automne 2024 sur le label Heavenly Sweetness. Au point d’épater la référence ultime du rare groove, une de ses vieilles connaissances : “Gilles Peterson, à qui j’avais envoyé le disque en avant-première, m’a dit : — J’hallucine, je ne connais pas un track !”
“Je suis super content : il me soutient à fond. Et me booke sur son prochain Worldwide Festival !” Un DJ set qu’il ne faudra pas rater si vous désirez écouter une dernière fois Spider aux platines car à l’issue de l’été, celui-ci sera… un retraité de la piste de danse : “J’ai 60 ans cette année. J’ai décidé d’arrêter ma carrière de DJ. J’en ai marre. Je continue dans le disque et la production. Je vais faire le Montreux Jazz Festival, Worldwide à Sète et deux dates à Jazz à Vienne et ensuite, bonsoir les amis !”
Un volume 2 de Chakalaka Jazz est en cours d’élaboration, “qui se doit d’être meilleur que le premier. Gros challenge, je travaille dessus, ça devrait aller” explique-t-il, avant d’annoncer la création d’un groupe, le Chakalaka Jazz Band. “Pour reprendre en live les morceaux des deux compilations. Ici, on tournera avec des musiciens locaux qui sont énormes. En Europe, je veux associer des musiciens français et des Sud-Africains, car ce n’est pas évident de faire venir un groupe entier d’Afrique du Sud et je veux aussi intéresser des Français à ce répertoire. On va faire tourner ça sur des festivals en 2026.”
“J’ai trouvé en Afrique du Sud une telle scène musicale, c’est incroyable” poursuit-il. “Je connaissais mes classiques : Dollar Brand, Myriam Makeba, Letta Mbulu. Ici, j’ai découvert toutes les scènes : reggae, punk, jazz, deep house, hip-hop… J’ai voulu sortir une compilation des disques rares de jazz que j’avais réussi à collectionner sur place. Sur Strut Records, sont sorties quatre superbes compilations baptisées Next Stop Soweto. Mais je voulais la mienne. J’ai discuté avec Heavenly Sweetness, mais Franck Descollonges était seul sur son label et ça a commencé à sérieusement bien marcher pour lui. Il était submergé, on avait signé les licences depuis deux ans, ça traînait par manque de temps. Finalement, il a pu embaucher et la compilation est sortie en novembre ! L’avantage, c’est que le label est devenu gros, qu’il est repéré et quand on a sorti la compilation, on a vendu 1500 vinyles en trois semaines : incroyable pour une compilation de jazz. J’ai des retours du monde entier.”
Il m’a poussé derrière les platines
Une suite logique pour ce Lyonnais qui officia pour la première fois aux platines circa 1983, un peu à l’improviste, puisque le jeune mod avait juste amené quelques 45t de sa collection pour que son compère Jean-Marc, avec lequel il organisait cette première soirée du mouvement à Lyon, les joue. “Lui était DJ. À l’époque il y avait un bar qui s’appelait Le Modern (futur Comte Zaroff puis Opera Mundi), c’était le premier bar où les mods se rencontraient, rue Burdeau. Mais il n’y avait pas de soirées à notre connaissance.”
Tous deux revenaient d’une virée à Londres et voulant pousser la culture mod dans leur ville, avaient loué la salle du bas d’un restaurant situé dans le 6e arrondissement, le Jockey Club. “On avait deux platines, même pas de table de mixage. Au milieu de la soirée, Jean-Marc avait un peu bu, il m’a demandé de prendre sa place. Il m’a poussé derrière les platines, je mets alors mon premier disque et… les gens sont dingues ! Le deuxième disque… pareil. Ça m’excite, de voir les gens danser, crier ! Et je finis la soirée aux platines.”

“Tout mon parcours est étroitement lié au mouvement mod : c’est ce qui m’a fait découvrir la musique, commencer à voyager pour voir des groupes sur scène, aller à des soirées spécifiques. Tout de suite, je suis rentré dans cette niche musicale. À la fin des années 1970, ce mouvement qui était très fort en Angleterre, est arrivé en France et à Lyon. Le mouvement punk était bien documenté par Rock&Folk et Best, les deux journaux qui t’initiaient à la musique à l’époque. Mais personne ne parlait du mouvement mod. J’aimais bien ce côté un peu différent.”
“Je suis né en 1965. Grâce à mes parents et mon grand frère, je connaissais le double bleu et le double rouge des Beatles que l’on écoutait fréquemment. Ma mère était pianiste de classique, elle interprétait du Chopin. J’adorais la regarder et je jouais du piano aussi. J’ai acheté mon premier disque en 1975 : I will survive de Gloria Gaynor. Après, j’ai acheté les Rubettes, Sugar Baby Land… Pour mes 15 ans, mon frère qui avait une petite collection de 45t avec des Bardot et des Dutronc, me l’a offerte dans une boîte à chaussures. J’ai bien kiffé. Et je me suis dit : tiens, il n’y a pas tous les Dutronc ! Faudrait finir cette collection. Ça a commencé comme ça.”
Jusqu’à ce qu’un de ses amis ne revienne de Londres en 1981 avec une cassette des “vingt meilleurs titres mods”, lui fasse écouter et lui explique : à Carnaby Street, 2000 mods s’étaient réunis ! En Angleterre, le mouvement — qui vit alors son premier revival — est puissant. Et montre au jeune Spider des photographies : flash !
“Quand on allait en ville avec ma mère dans sa voiture, je voyais des mods passer en scooters, j’adorais leur look ! Mais je me demandais qui étaient ces gars, avec des rétroviseurs, des parkas… Je ne savais pas ce que c’était. Et là, j’ai fait la relation avec ces mecs ! Mais voilà ! Tout de suite j’ai accroché en écoutant la cassette, c’était la première fois que j’entendais du Motown avec Martha Reeves & the Vandellas, Diana Ross & the Supremes, Marvin Gaye… C’était génial, ce que j’aime ! Je suis devenu mod.”
Une petite bande se crée, croise les aînés branchés sur le même son et la même attitude. Spider découvre la soul, le jazz dancefloor, le label Blue Note. Enchaîne sur le rocksteady, le ska des sixties : Desmond Dekker, Prince Buster et plus tard Toots & the Maytals. Ils correspondent par lettres avec d’autres gars de leur âge, dans d’autres villes comme Avignon où “il y avait une bonne scène, on se racontait ce qu’il se passait chez nous. Les mecs commençaient à organiser des soirées, des rassemblements sur un week-end. Avec les quelques mods lyonnais, on descendait à Sète, à Montpellier, à Perpignan en scooter ! Pour aller à des soirées et écouter ce genre de musique. On commençait aussi à aller à Londres acheter des disques, des fringues que l’on ne trouvait pas en France.”
Personne ne mixait notre son
“Après, on a continué. Dès la deuxième soirée, on était 150. J’avais organisé aussi un rassemblement place Bellecour : on avait fait courir le bruit trois mois avant en donnant une date, les gens sont venus de partout, on était 150 mods en scooter place Bellecour ! Avec une soirée dans la foulée. On jouait de la musique hyper pointue dès le départ : pas de tubes !” Petit à petit, le nouveau DJ commence à jouer dans les rassemblements des autres villes.

“Personne ne mixait notre son : j’avais élargi mon set avec du James Brown, les Blues Brothers. Je faisais la différence parce que tous les DJs jouaient du Depeche Mode, du Simple Minds, New Order. C’était l’époque de la new wave.”
Dès la fin de son premier set au Jockey Club, un danseur est venu lui proposer 500 francs pour mixer à son anniversaire 15 jours plus tard. “75 € ! J’avais 16 ans, mais bien sûr que je le fais ! J’y vais et en fin de soirée, un mec vient me voir pour son mariage : — Combien tu prends ? Je me souviens très bien : 1000 francs ! Mais il y a moyen de gagner de l’argent avec ça et en plus je m’éclate !”
Sa première résidence, c’est au Comte Zaroff, en 1986 ou 1987 — les souvenirs sont flous. “Je suis devenu officiellement DJ !” Et ça décolle très vite : le voici aux platines, en divers lieux de la ville, du mardi au dimanche soir. Il dort trois heures par nuit, vendant la journée des claviers dans un magasin de hi-fi. Car il est toujours, en parallèle, pianiste et surtout organiste. “J’avais écouté dans une soirée mod The Cats de Jimmy Smith. Je me demandais d’où venait ce son. Un copain m’a dit que c’était un orgue Hammond ! C’est quoi ça ? J’ai traîné dans les magasins de musique et place des Terreaux j’en ai trouvé un : j’ai bossé pendant six mois comme un fou pour l’avoir.”
C’est vers 1984 qu’il commence à jouer : “on voulait faire des groupes mods. Je n’avais pas encore d’équipement. À l’époque, il fallait avoir une maison pour monter un groupe, moi j’habitais un petit appartement à la Croix-Rousse, je ne pouvais pas. À Charbonnières, à Limonest, à Écully, ils avaient des groupes et le dimanche, on se retrouvait dans une maison, avec la guitare de l’un, la batterie de l’autre, on commençait à essayer de jouer. Louie Louie était notre grand classique. C’était facile : trois accords.”
L’envie de monter un groupe plus sérieux se précise. Spider passe une annonce dans un journal et rencontre le guitariste Grégoire Blanchet puis le batteur Éric “Terrible” Jambon lors d’un concert de James Brown à la Bourse du Travail. Hey! Bookmakers déboulent sur les scènes vers 1986. “Le fait d’avoir cet orgue amenait un son pertinemment différent, personne n’en jouait à l’époque ou presque — à part Le Cri de La Mouche. On a dû faire 280 concerts ! On avait deux grosses influences : tout le punk sixties, les compilations Peebles et Nuggets. Et de l’autre côté, Ike & Tina Turner, Marvin Gaye.”
Mais il est où l’autre beat ?
“Le Comte Zaroff, à un moment, c’était devenu le délire : j’arrivais là-bas, à 21h30 il y avait déjà la queue pour rentrer. On ouvrait à 22h, à 22h30, c’était sold-out chaque soir !” Mais vient le moment où le Comte Zaroff ferme et devient l’Opera Mundi. Sur les quais de Saône, a entre-temps ouvert un nouveau club : le Glob. La programmation des concerts est folle, le lieu plus grand, le sound system excellent. Combo parfait. Spider en devient le DJ résident. Nous sommes à la fin des années 1980 et un nouveau mouvement agite l’Angleterre : l’acid jazz.
“Il me fallait du son frais, plus moderne et l’acid jazz a répondu à toutes mes attentes. Le même groove, mais plus fat. Très peu de DJs mixaient au tempo ici, mais en Angleterre, je commençais à découvrir ceux qui le faisaient : je voulais apprendre ! Sur des beats un peu plus réguliers comme ceux de l’acid jazz, j’ai pu commencer à le faire. Je me souviens très bien de la première fois où j’ai rentré deux disques calés : c’était au Glob, je me suis dit… mais il est où l’autre beat ? Les disques sont ensemble, c’est génial ! J’ai travaillé à fond pour créer une ambiance et faire monter le beat ainsi. On commençait tout juste à entendre parler du mot “groove” : j’ai créé une soirée, la Groove Party. Ça a cartonné ! C’était la soirée des étudiants, on faisait entre 400 et 600 personnes chaque mercredi.”
Son budget disques devient conséquent : il faut amener du son neuf chaque semaine, ne pas lasser ce public devenu friand de nouveautés. Et rester à la pointe : sans arrêt sortent de nouveaux artistes palpitants, l’époque est prolifique. “J’ai toujours eu en moi ce côté passeur — je viens de l’underground —, j’étais tellement passionné par ces musiques, je voulais les transmettre aux gens, leur dire écoutez-ça c’est nouveau et c’est bien ! Petit à petit j’ai pu voir qu’il y avait un following.”
“Au début, il n’y avait pas de radio pour écouter ce son… sauf radio Bellevue ! Quand je suis devenu mod, je me suis mis à l’écouter car il y avait Tata Win, le chef des mods de Lyon qui, avec une fille nommée Magali, faisaient l’émission Respectable1. J’ai appris énormément grâce à eux deux ! Je ne parlais pas anglais à l’époque, j’essayais de noter phonétiquement le nom des groupes pour faire des recherches après… J’ai beaucoup appris aussi avec Robert Lapassade qui a toujours été branché sur la soul, le funk.”
Évidemment, l’envie de jouer de l’acid jazz titille aussi l’organiste, pas seulement le DJ. Ce qui provoque une scission amicale chez Hey! Bookmakers, Terrible, le batteur, se dirigeant lui vers des sons plus durs à la Stooges. “J’aimais beaucoup aussi, mais ce n’est pas ce que je voulais jouer comme musique à l’époque.” Arrive Mr Day, un chanteur branché acid jazz, qui vient de lancer le Kool Kats Club. Il invite Spider à venir tâter de l’orgue Hammond lors d’une répétition du groupe.
“C’était exactement ce que je voulais faire ! Et Mr Day, quel chanteur… Ce mec chante comme Jamiroquai ou Gil Scott-Heron. Whouaaa ! Ça m’excitait de jouer avec eux.” S’ensuivront une soixantaine de concerts. “Ça jouait super bien ! Mais parallèlement, côté DJ, je tournais de plus en plus et le mouvement DJ en lui-même a commencé à vraiment exploser, donc j’en ai profité, je prenais plus d’argent, est arrivée La Marquise…”
Je n’ai jamais vu un club décoller aussi vite
La Marquise a ouvert en 1994. Anthony Hawkins en est le patron et c’est un café-théâtre. Il se connecte avec Spider pour organiser une soirée, lequel visite la péniche en compagnie de DJ Fraggle. La paire craque pour le lieu : “l’endroit était vraiment différent, trop mignon”. La fête est calée en after d’un concert de Jamiroquai à la Bourse du Travail, où tous deux distribuent des flyers photocopiés. “C’était blindé à craquer ! Et pas d’horaire de fermeture, parce que la Marquise dépendait de la police fluviale… On finit à huit heures du matin avec le soleil qui rentre par les hublots, on mettait du ska, de la soul, un lieu exceptionnel !”
C’était sensé être un one shot. La semaine suivante, une trentaine de personnes se pointent pour danser et il n’y a… rien. “Anthony me propose tous les vendredis soirs. C’est parti en flèche ! Le Glob venait de subir une fermeture administrative. Les gens étaient en perdition, il n’y avait plus de club pointu. Que des boîtes avec de la musique commerciale. En deux semaines, ça a décollé : Anthony m’a proposé d’être résident, pas de problème : je venais de perdre mon boulot au Glob. Toute la scène branchée de Lyon a suivi à La Marquise. On a donc lancé les samedis aussi. Je n’ai jamais vu un club décoller aussi vite !”
Arrive en même temps la french touch, avec les disques de Yellow Productions, alors dans la même vibe acid jazz. “Je me dis qu’une fois par mois je peux inviter un DJ parisien : je commence par Bob Sinclar, qui jouait alors sous le nom Chris the French Kiss, il est venu dès 1994. Puis DJ Cam, 350 entrées et 200 personnes qui attendaient dehors !”
Entre 1993 et 1996, il s’est passé un truc à Lyon
“J’allais toujours à Londres, je ramenais des flyers, j’avais désormais une idée de l’esthétique à force de voyager. J’avais trouvé un modèle long format, assez particulier. Hervé, notre infographiste, a développé l’identité visuelle du club. Les gens ont commencé à collectionner les flyers de La Marquise ! Tout était différent, ça a créé une image. Parallèlement, est arrivée L’Ambassade avec Fred Guzzo, le premier DJ de ce club. Il aimait bien la house, il a commencé à faire venir des DJs internationaux lui aussi. Et d’un coup, tout est arrivé en même temps : Couleur 3 et Fréquence Jazz côté radio, des lieux. Entre 1993 et 1996, il s’est passé un truc à Lyon, vraiment ! Ça a créé une scène, je n’étais plus tout seul, j’étais content !”
Et comme “c’était la grosse époque des raves, avec Fred Galliano on s’est dit : on va faire une rave acid jazz. On a monté À La poursuite de la 13e note, du nom du premier disque du groupe anglais Galliano. On a fait le flyer, invité plusieurs DJs, comme pour une rave techno. La première, c’était dans une salle du 8e arrondissement, avec Chris the French Kiss et DJ Yellow. Ensuite, on en a fait une autre avec Dimitri from Paris, Patrick Forge, Cut Killer qui montait énormément, c’était la première fois qu’il venait à Lyon. On en a monté deux autres au Rex Club à Paris. Ces mecs ont commencé à parler, à dire autour d’eux qu’il y avait une scène à Lyon. Et c’est arrivé de tous les côtés : j’étais contacté par des artistes, des labels, des tourneurs anglais, j’avais accès à des DJs de plus en plus connus. À La Marquise, on a commencé à inviter des artistes toutes les semaines. Est venue la connexion avec Ninja Tune, j’ai pu faire venir Mr Scruff. Ils m’ont proposé de faire une soirée du label tous les mois à Lyon ! Anthony me laissait faire tout ce que je voulais tant que ça marchait. On pouvait faire une soirée house avec Kevin Yost et le lendemain une soirée rocksteady.”
L’envie de produire des disques se précise. En 1998, Spider forme une petite bande avec Teddy G, Philgood — désormais à Sofa Records — et Pascal Rioux, qui depuis a lancé Favorite Records où sont aujourd’hui publiés les disques de Pat Kalla et Voilaaa. “On traînait tout le temps ensemble !”. Le quatuor lance Rotax et cartonne dès le premier maxi. Daft Punk et DJ Sneak jouent le vinyle dans leurs sets. Teddy G et Pascal Rioux souhaitent persévérer dans la house music. “On s’est séparé sur les goûts musicaux : avec Philgood, on est parti monter Plein Gaz Productions. Notre première compilation s’appelait Savoir-Faire, elle était dédiée à des productions bossa nova et jazz funk parues entre 1970 et 1976 en France,. Elle a bien marché. Rotax a continué, ça a bien fonctionné pour eux aussi ! C’était une époque super excitante.”
“À La Marquise, j’ai quand-même booké Daft Punk pour 1500 francs. 1500 balles et j’ai eu les deux Daft Punk plus Busy P, pour l’aftershow de leur concert au Transbordeur ! Chris the French Kiss, 1500 francs aussi et il avait dormi chez moi ! Dimitri from Paris, pareil. C’était le tarif à l’époque. C’était bon enfant, personne ne se la pétait, le mouvement DJ montait.”
Avec Jun Matsuoka, l’autre DJ résident de La Marquise, Spider monte un nouveau groupe cette fois-ci axé broken beat et baptisé Colorblind, “car je suis daltonien !”. L’album, sur lequel apparaissent Mr Day et Sir Jean, sort en 2003 mais fait un flop. “La crise du disque était arrivée, tout le monde avait accès à la musique gratuitement avec le MP3, le vinyle s’est écroulé. Les labels se sont mis à fermer. Vers 2003, j’ai commencé à beaucoup moins tourner à l’étranger, il ne restait que les gros DJs. Eux continuaient de grossir, leurs cachets ont commencé à se multiplier par 40, on est passé à l’euro… Les petits comme moi, on n’a pas tenu. Et Colorblind ne trouvait pas de dates. Avec Plein Gaz Productions, si on vendait 300 copies d’une sortie, on était content. Tout ce MP3 gratuit a tué une bonne partie de l’émergence, des petits labels, des DJs.”
“Je t’avouerais aussi que si de 1994 à 2000, ça a bien tenu pour moi à La Marquise, en 2001 je commençais à sentir que je m’essoufflais. Au bout de six ans, tu en as un peu marre d’aller tout le temps au même endroit, tout s’essoufflait doucement. Couleur 3 n’était plus là, plusieurs lieux avaient fermé. Ce n’était plus pareil à Lyon. Je me suis dit qu’il était temps de bouger. En 2004, je suis parti à Barcelone. Il y avait une scène là-bas, ça cartonnait. Un ami avait une chambre à me louer. Je suis allé voir comment ça se passait : pendant cinq ans, j’ai cartonné, je mixais tout le temps, j’ai remonté deux labels. Jusqu’à la crise économique… Je me suis alors retrouvé sans boulot, pas de chat, pas de chien. Plus rien et pas d’attaches !”
À Cape Town, tout seul
Et aucune envie de rentrer en France. “Je ne savais pas où aller, il fallait trouver un pays un peu émergent, où il se passe un truc. C’était juste avant la coupe du monde 2010 et pour plusieurs pays avant une coupe du monde, ça monte. J’ai décidé d’aller à Cape Town en Afrique du Sud, tout seul. À 12 000 km de Lyon : mes parents, extraordinaires encore une fois, m’ont suivi dans toutes mes folies, tous mes challenges. Ils m’ont dit qu’ils me préféraient heureux à Cape Town que malheureux à Lyon. Mes parents sont juste incroyables !”
Spider débarque seul avec son sac de disques et sa valise. Et recommence tout à zéro. Sauf que ça ne se passe pas tout à fait comme prévu… Le Lyonnais décide de monter un club de jazz : il n’y en avait plus un seul dans Cape Town à ce moment-là, tous avaient fermé malgré la vivace scène musicale locale. L’ouverture se fait après la coupe du monde, en octobre 2010. “Un bide ! Ça n’a pas marché du tout, j’ai perdu énormément d’argent. Ça n’a jamais décollé. La saison touristique, c’est de novembre à février ici. Mais tous les gens qui aiment ce pays étaient déjà venus pour la coupe du monde en juin et juillet ! Ils ne sont pas revenus une seconde fois dans l’année. Le centre-ville un samedi soir pendant cette saison, c’était le désert. 32 clubs ont fermés cette année-là ! J’ai tenu un an, à la fin je faisais tout, de la programmation au ménage en passant par DJ résident et les courses des boissons. J’ai fermé le club. Il me restait 2,50 € dans les poches.” Heureusement, l’expatrié avait acheté une maison et avait encore un toit…
…Et des disques. Il appelle un ami, tenancier de bar. Lui propose de venir avec tout son matériel pour mixer. Lequel lui répond qu’il ne pourra lui offrir que 300 rands. 30 €. “Je me dis : j’ai rien. C’est bien simple, rien. Et des dettes, suite à la fermeture du club. Je les prends ! J’ai recommencé comme ça. Même la première date que j’avais fait en 1983, j’avais pris l’équivalent de 75 € !” Il n’y avait plus de soirées latines dans Cape Town, alors Spider reprend le nom et le concept des Salsation qu’il organisait à La Marquise. Ça prend. “J’avais enfin un peu d’argent pour aller voir mes parents à Lyon.”
Discogs m’a sauvé
En parallèle, le digger se met à vendre des disques sud-africains sur Discogs, sur les conseils de son vieil ami Teddy G, qui venait d’ouvrir le shop Galette Records à Marseille. “Il me dit qu’un revival du vinyle débute, que je dois monter une boutique de disques vu que je connais ça hyper bien. J’étais le premier sur Discogs en Afrique du Sud, j’en parle évidemment à personne et je commence à aller fouiller avec mon téléphone, j’achète des disques 3 € que je revends 60 €. Je me suis remis à fond dans le disque. Et Discogs m’a sauvé !”
La boutique va suivre en 2013, lorsqu’il trouve un local à 75 mètres de sa maison. 6000 rands de loyer plus la caution : juste le prix du billet pour aller en France ! “J’appelle mes parents. Mon père me dit : ouvre la boutique. Tu viendras nous voir l’année prochaine. J’ouvre donc la boutique, avec 5 € en poche.” Deux bacs de disques, deux chaises et deux posters, 30 bouquins offerts par une amie, tandis qu’une autre lui laisse 30 robes en dépôt/vente et c’est parti. “Je garde le nom Voom Voom que j’avais pris pour le club de jazz. Voom Voom Vintage & Records !”
“À force de boulot, au bout de six mois, ça décolle. J’ai de super retours ! Je passe ma musique toute la journée dans le magasin, uniquement en vinyle, les gens adorent ça. Au bout d’un an, la boutique de 200 m2 à côté se libère, elle fait le corner entre deux rues avec sept vitrines, je la prends. Et aujourd’hui, j’ai trois boutiques dans la rue et neuf employés. Un truc de dingue. Croyez toujours en ce que vous faites : j’avais 5 € en poche le jour de l’ouverture !” Le prix d’une cucaracha.
Agenda
27/06 : Jazz à Vienne - DJ set Chakalaka Jazz tour par Fred Spider
28/06 : Jazz à Vienne - DJ set Chakalaka Jazz tour par Fred Spider
03/07 : Worldwide Festival - DJ set Chakalaka Jazz tour par Fred Spider
05/07 : Montreux Jazz Festival - DJ set Chakalaka Jazz tour par Fred Spider
Exposition Entre rave et réalité, les musiques électroniques à Lyon dans les années 1990 à la Bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon, du 1er avril au 31 octobre 2025
Boîte à outils
Fred Spider presents Chakalaka Jazz (2024 - Heavenly Sweetness)
Colorblind, s/t (2003 - Plein Gaz Productions)
Savoir-Faire (1998 - Plein Gaz Productions)
Paolo Hewitt, Mods — une anthologie (2011 - Rivages Rouge - 21 €)
Précision en date du 26/02/25 suite au commentaire de Pierre : Cyril Deluermoz, éminent critique rock de Rock&Folk, serait l’animateur principal de cette émission Respectable et Tata Win (ou Tataween, orthographe exacte inconnue) en était l’un des invités réguliers.
Génial, merci.
Salut à tous de Mister Chuck, moi aussi 60 ans cette année et je peux donc faire mon coming out, car alors rocky guy à cette époque, batailles scooters mods contre Peugeot 203 rockabilly, jusqu'à devenir Amis, en vous avouant que Fred m'avait ensorcelé en me travestissant en mod le temps d'une nuit de réveillon à Londres, 1990 ? du Camdem palace au One undred club, pour un week-end déjanté au sein d'une scène mod revival... Une chope de bière tombé des coursives surplombant le dancefloor et 3 points de suture et un fut trop serré, qui finit par craquer sur la raie du cul. Heureusement, Laeticia, sa copine de longue date à cette époque là, fût une magnifique infirmière avec Fred en chirurgien de bloc car il ne faisait pas bon traîner dans les hôpitaux de Margaret Thatcher en ce temps là... Et quand aux soirées co-organisées ensemble... comme une soirée toge dans une abbaye désaffectée aux alentours de Lyon, quelle bacanale inoubliable. Quelle joie de découvrir cet article foissonant de détails sur son parcours et d'y revoir via les photos et vidéos, ses comparses de scènes... Que de souvenirs comme d'y lire les noms de Lapassade ou Deluermoz, ayant également officié à radio Bellevue avec le 1er et sifflé quantité de bières avec le second à refaire le monde entre intellos déjantés entre bar du Grenette ou XXème siècle, époque West side club/Palais d'hiver, sans oublier le Modern ou l'Otarie, lieux cultes, passages obligés avant toutes soirées orgiaques dans de somptueuses demeures de la haute bourgeoise d'antan, marmaille déculottée en tous genres dans le dos des parents... Souvenirs d'un caméléon des nuits lyonnaise, exposé à la bibliothèque de Lyon à RAVES ET RÉALITÉS pour ma contribution à la scène électro des 90'S comme un vieux fossile du paléolithique. Vive les RAHAN des âges farouches !!!