May B, en attendant Maguy Marin
DANSE. Jusqu'à samedi soir aux Célestins à Lyon est reprise la majestueuse chorégraphie de Maguy Marin, créée en 1981, "May B" : puissante, historique et crûment d'actualité.
Pierre-Yves Lenoir, le directeur du théâtre des Célestins à Lyon, a eu la riche idée d’insister dans sa programmation sur la reprise de pièces de théâtre issues du patrimoine, d’œuvres jalons ayant marqué leur temps et leur discipline. Ainsi, après l’un peu trop vaine La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, est-il possible de découvrir jusqu’au samedi 17 mai May B, l’iconique chorégraphie de Maguy Marin datant de 1981, que je suis allé voir ce mardi 13 mai.
Dans un entretien qu’il m’avait accordé en novembre 2024 et publié au sein du mensuel Lyon Poche, Pierre-Yves me confiait : “c’est toujours important de donner à revoir lorsque c’est possible ces œuvres-là. Déjà car il y a tout un public qui peut les découvrir, être à nouveau bouleversé. Pour moi, c’est très important : je suis très partisan des reprises !”.
L’ancien administrateur de l’Odéon à Paris a poussé l’idée jusqu’à programmer cette semaine une œuvre aux frontières de la discipline du lieu qu’il dirige en solo depuis le départ de Claudia Stavisky, puisque l’on est plus habitués à savourer le travail de Maguy Marin à la Maison de la Danse ou dans son propre spot, une ancienne menuiserie à Sainte-Foy-lès-Lyon rebaptisée Ramdam, qu’au sein d’un théâtre à l’Italienne comme celui des Célestins.
Mais cette chorégraphie n’est pas comme les autres : elle est l’une des premières en France du mouvement que l’on appellera la “danse-théâtre”, initié en Allemagne par Kurt Jooss qui s’inspirait de l’expressionnisme des années 1920, puis s’est répandu sur les scènes européennes par la grâce de Pina Bausch, avec sa pièce Café Müller créée en 1978. Dans l’hexagone, ce sont Isaac Alvarez et donc Maguy Marin qui ont exploré ce territoire. May B, créée en novembre 1981 au Théâtre municipal d’Angers, a durablement marqué les esprits : c’est désormais une balise incontournable dans l’histoire de la danse.
Dansée car inexorablement liée au mouvement et à la musique, quasi dépourvue de texte — on y revient —, donc indéniablement œuvre chorégraphique, May B n’en est pas moins irrémédiablement théâtrale tant ses personnages gagnent au fil de la pièce une humanité, des expressions, des humeurs et des sentiments qui construisent un récit tout sauf anodin : en 2025, tout au long de la représentation, parfois drôle, parfois déchirante, toujours touchante, on ne peut s’empêcher de penser à l’actualité, aux crises migratoires de notre temps, à ces populations déplacées et, oui… à Gaza.
Valises pleines de poussières, visages défaits, épuisés, faim prégnante et volonté de rester, malgré tout, humains dans la misère — amours, solidarité, moqueries, fête d’anniversaire rythment les 1h30 de représentation — placent cette œuvre datant de 1981 crûment dans notre époque. Et l’on n’est donc pas surpris quand au moment du salut, les dix danseuses et danseurs reviennent avec un message clair affiché sur de petits carrés recueillant chacun une lettre verte, rouge ou noire : “Urgence Palestine vivra !”. Car oui, la danse est politique, bien sûr. Et une œuvre aussi intemporelle l’est d’autant plus.
Conçue au tout début de la carrière de la chorégraphe, inspirée du travail de Samuel Beckett à qui Maguy Marin avait écrit avant de se lancer — lequel lui répondit et la rencontra —, May B, sans mots ou presque, nous parle énormément en se mouvant sur les compositions de Gavin Bryars, sublime, de Franz Shubert et Gilles de Binche.
Dans sa note d’intention, la chorégraphe écrit : “Ce travail sur l’œuvre de Samuel Beckett, dont la gestuelle et l’atmosphère théâtrale sont en contradiction avec la performance physique et esthétique du danseur, a été pour nous la base d’un déchiffrage secret de nos gestes les plus intimes, les plus cachés, les plus ignorés.”
Écrite pour cinq hommes et cinq femmes, elle ne conserve qu’une réplique de Beckett, qui ouvre et ferme le spectacle en une boucle temporelle qui fait autant sourire dans son interprétation — des rires fuseront dans la salle, lors de la première mardi 13 mai — qu’elle met mal à l’aise dès lors que l’on réfléchit au sens de la finitude en question…
Il reste des places pour samedi soir.
May B, de Maguy Marin
Aux Célestins, Théâtre de Lyon ; 4 rue Charles Dullin ; Lyon 2e
Jusqu’au samedi 17 mai
Durée : 1h30
Infoline : 04 72 77 44 00
Tarif : de 5 à 40 € ; réserver sa place
Samedi 17 mai, les Célestins proposent une riche journée spéciale consacrée à Maguy Marin avec au programme :
14h : Atelier Rythme et écoute, par Ulises Alvarez
16h : Projection de Umwelt, de l’autre côté des miroirs, de David Mambouch
18h : Contrepoints - dialogue sur la création artistique entre Maguy Marin et Olivier Neveux
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